A la « stratégie du choc » décryptée par Naomi Klein, faut-il ajouter
une « stratégie de l’émotion » ? La classe dirigeante s’en servirait
pour dépolitiser les débats et pour
maintenir les citoyens dans la position d’enfants dominés par leurs
affects. L’émotion abolit la distance entre le sujet et l’objet ; elle
empêche le recul nécessaire à la pensée ; elle prive le citoyen du temps
de la réflexion et du débat.
l en est de la démocratie comme des grenouilles. Une grenouille jetée dans une bassine d’eau bouillante s’en extrait d’un bond ;
la même, placée dans un bain d’eau froide sous lequel le feu couve, se
laisse cuire insensiblement. De multiples phénomènes se conjuguent pour « cuire »
insidieusement les démocraties, à rebours de l’effet que produit un
coup d’Etat avec ses militaires et ses arrestations d’opposants sur fond
de Sambre-et-Meuse tournant en boucle à la radio. Tel l’innocent
frémissement d’une eau qui bout, les dégâts occasionnés n’apparaissent
jamais qu’au fil d’une juxtaposition dédramatisante. Les combustibles
qui alimentent le feu sous la marmite ont été abondamment décrits ici et
là (1).
On s’est, en revanche, assez peu arrêté sur le rôle que joue l’invasion
de l’espace social par l’émotion. Les médias y contribuent abondamment,
sans qu’on mesure toujours ce que ce phénomène peut avoir de
destructeur pour la démocratie et la capacité de penser.Frémir plutôt que réfléchir La stratégie de l’émotion, d'Anne-Cécile Robert
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